dimanche 15 février 2009

Isabelle de Funès

[texte écrit en février 2009] Je l’imaginais insaisissable, secrète, énigmatique. Et mes recherches sur Google n’avaient guère éclairci le “mystère Isabelle” : on y trouve les mêmes informations reprises en boucle, principalement sur sa filmographie. Baba Yaga en premier lieu (basé sur une bd SM, ce film génère des dizaines de pages internet dans toutes les langues). Et rares sont les infos sur sa discographie, dans laquelle il y a pourtant une poignée de jolis 45 tours (inabordables sur les sites de revente) dont 3 contiennent des chansons écrites et composées par Michel Berger ou Véronique – ce qui justifie sa présence ici.
Sur ma vieille cassette audio de 1977, après les deux démos de Véronique, il y avait Jusqu'à la tombée du jour et Mon voisin par Isabelle. Découverts 10 ans après leur sortie, ces deux titres ont encore aujourd'hui pour moi ce charme discret et sucré comme la voix de leur interprète. Une voix au timbre faussement indolent, se baladant nonchalamment sur un tempo de bossa orné de jolies cordes.
“Je n’étais pas prête. Je trouvais que j’avais la voix qui se cassait.” C’est Isabelle qui parle, en 2009, de sa voix riante. Une voix très radiophonique, loin de celle qui s’échappait de ses enregistrements. Il faut dire qu’Isabelle vit pleinement dans le présent. Sans nostalgie. Elle dit qu’elle a peut-être ses 45 tours quelque part, mais ne sait pas bien où. Depuis 3 ans, elle habite Paris, ne répond pas d’ordinaire aux demandes d'interview sur cette époque. Elle l’affirme sans prétention. C’est juste qu'il n’y a pas que de bons souvenirs à faire remonter à la surface. On va donc faire le tri, ne garder que le meilleur.
En 1968, Isabelle, nièce de Louis (elle est la fille de Maria, sœur de l'acteur) a 24 ans (1). Plutôt jolie, elle fait des photos de mode. Pierre Cardin, Yves Saint-Laurent... La couverture de Elle.



Dim Dam Dom du 28 mai 1965.

Deux pages dans Jours de France (2) l’ont présentée au public deux ans auparavant avec ce titre “Tout le monde connaît Louis de Funès, on va maintenant connaître Isabelle” (à ce sujet, on lit ici ou là sur le net qu'elle est en fait sa fille, ce qui n’est pas loin d’une certaine réalité : elle était “la fille qu’il n’a jamais eue”). Elle ne se souvient plus bien ce qui lui a valu ces deux pages, “peut-être l'émission Tilt que je présentais avec Michel Drucker”.



Tilt magazine du 7 décembre 1966, avec Michel Drucker.

En 1968 donc, à Maison-Laffitte où elle vit avec ses chevaux, appel d’un inconnu : “Bonjour je m'appelle Michel Berger, je suis directeur artistique chez Pathé-Marconi. On aimerait vous faire passer un test en studio pour vous faire enregistrer un disque”. Isabelle : “C'est tout simple, Michel et Claude-Michel Schönberg, tous deux responsables du catalogue jeunesse chez Pathé, étaient à la recherche de nouveaux talents. ils m’ont vue sur les photos de Elle et m’ont appelée.”
Elle croit à une blague... Mais Michel est tenace – et intuitif. Il rappelle, insiste, se montre rassurant. Au bout d’un mois, elle accepte et se rend en studio, à Boulogne. Quelques essais, une prise. La voix est jolie et juste. Michel est conquis. Comme le reste du studio. “Il y avait une telle tendresse – même si je peux avouer aujourd'hui que Michel me faisait un peu peur, il pouvait être très difficile. J’ai été soulagée en lisant l’autobiographie de Françoise Hardy (3) de voir que je n’étais pas la seule à avoir souffert en studio avec lui”.

Lors des séances d’enregistrement, Hubert Rostaing (arrangeur du premier simple de Véronique) ou Michel Bernholc (arrangeur du premier album de Véronique et l’un des Pour les Michel) sont là. Et bien sûr la toute jeune Véronique (à qui Michel a demandé des chansons pour Isabelle), avec d’abord un titre dont elle signe la musique (sur des textes de Violaine), Mon voisin. L’histoire d’une jeune fille qui épie amoureusement son voisin et espère qu’un jour “il sonnera chez moi”. Du sur-mesure pour Isabelle qui, avec ses grands yeux et ses cheveux longs, incarne parfaitement l’amour tourmenté.
Sur la maquette de Véronique (ce fameux acétate de deux titres retrouvé chez Colette Sanson, et qu’on peut maintenant entendre sur l’intégrale), son interprétation impressionne Isabelle qui a un vrai coup de cœur pour cette voix. Elle le dit encore aujourd'hui : “Tout ce qui m’intéressait, c’était les chansons écrites par Véronique. Quand elle a commencé à écrire pour elle-même, à préparer ce disque dont on ne se doutait pas du tout de la merveille que ça allait être, je me suis arrêtée de chanter. Chanter pour chanter ne m’intéressait pas et on ne me proposait plus rien d’intéressant. Et puis c’est à ce moment qu’est née ma fille, Lisa (4).”

De l’époque, pas une seule photo. “Nous n’avions pas d'appareil. On se voyait beaucoup mais on ne faisait pas de photo. Michel et Véronique n’étaient pas encore ensemble, je ne les ai jamais connus en couple. J’allais souvent chez les parents de Véronique. J'aimais beaucoup Colette à qui j’ai eu la chance de reparler au téléphone deux mois avant sa mort. Elle se rappelait de détails que j’avais complètement oubliés."
Hasard (auquel je ne crois pas...) de calendrier, Véronique répond à des questions sur Isabelle dans Platine, sorti le matin-même (5). Isabelle lit et commente “Oui, c’est vrai, elle est venue habiter chez moi quelques temps. Elle était très jeune. Je l’appelais “ma petite sœur”. Je me souviens qu’elle dormait enfouie sous ses boucles blondes, que son visage était tout rond. C’était en mai 1968, on se demandait s’il fallait faire des provisions. C'est vrai qu’on ne s’est pas encore revues... Un de ces jours peut-être...” À noter qu’Isabelle n’a pas encore écouté les versions de “ses” chansons par Véronique (dans l’album Sans regrets en 1992). On va y remédier...

Retour en 1968, année où un premier 45 tours voit le jour (Odéon MEO 168 sorti nle 16 septembre 1968) :
1. La journée d’Isabelle (paroles et musique Michel Berger)
2. Papa me laisse aller à la ville ce soir (Bobbie Gentry – Adaptation Boris Bergman)
3. Mon voisin (paroles : Violaine Sanson / musique : Véronique Sanson)
4. Les jours de pluie (Claude-Michel Schönberg / Boris Bergman).
Deux vidéos live (télés de 1969) de Mon voisin sont visibles ici et .
La photo de couverture, signée Claude Martinez, a été faite lors d'une escapade de 2-3 jours à Casablanca. “Toute la série était vraiment bien, et c’est
Claude-Michel Schönberg qui a choisi celle-ci, qu’il qualifiait d’“érotico-sentimentale”, idéale pour illustrer le titre principal”, se souvient Isabelle.


45 tours suivi d'un second, l'année suivante (Odéon/EMI C 016-10 057 sorti le 14 avril 1969) :
1. Quand Michel chante (paroles et musique Michel Berger)
2. Le cœur en juillet (Georges Blaness – Jean Schmitt)
3. Une odeur de neige (paroles et musique Véronique Sanson)
4. Deux par deux (V. Laitinen – Michel Jourdan)
La démo originale de Michel Berger peut être entendue ici.
La photo de couverture est signée Jean d’Hugues, qui signe aussi la couverture du premier 45 tours de Véronique et semble avoir un goût prononcé pour les jolies filles les cheveux dans le vent... comme on peut le voir sur son site ici, sur lequel figurent 3 photos inédites de Véronique.
(merci à Andy pour les scans de pochettes)

 


La mode des ep (extended play, 45 tours à 4 titres) est passée et le 7 juillet 1969 sort un 2 titres qui sort (Odéon/EMI C 006-10 324) :
1. Ne me parlez plus de l’amour (I'll never fall in love again de la comédie musicale Promises, promises) (Burt Bacharach – Hal David, adaptation Franck Harvel, alias Alain Bloublil, qui co-écrira plus tard Les Misérables et d’autres comédies musicales avec Claude-Michel Schönberg)
2. Jusqu’à la tombée du jour (paroles et Musique : Véronique Sanson)
On peut écouter cette chanson ici.
La (superbe) photo de couverture est encore signée Jean d'Hugues.


 
Un single sort en Belgique (Odéon/EMI C 006-10 361), toujours avec une photo de Jean d’Hugues en couverture :
1. Quand Michel chante (paroles et musique Michel Berger)
2. Jusqu’à la tombée du jour (paroles et Musique : Véronique Sanson)



Début 1969, Isabelle part en tournée un mois avec Gilbert Bécaud. C’est encore l’époque des “premières parties”. Elle fait le lever de rideau, juste avant Julien Clerc. “J'étais un bébé, je manquais de métier. À cette époque, vous aviez une jolie frimousse, on vous écrivait des chansons et on vous poussait sur scène, sans vous apprendre le métier. Pendant cette tournée, je faisais quelques titres et Gilbert était vraiment adorable. Il venait me voir chanter tous les soirs. Une fois, le pianiste a commencé à jouer n’importe quoi (une petite vengeance) et j’étais totalement déstabilisée. Gilbert a fait éteindre les éclairages et quand ils se sont rallumés, j’ai entendu les gens applaudir : il venait d'entrer sur scène pour m’accompagner lui-même au piano !”



Elle a bien sûr droit aux honneurs de Mademoiselle Age Tendre, de Salut les Copains (ci-dessus, en avril 1969) et même de Paris Match (6). Elle fait quelques télés : Mon voisin en direct à Musicolor en mars 1969, qu’on peut voir ici et Une odeur de neige aux Grands enfants (Maillan, Poiret, Serrault).
Le 10 mai 1969, on trouve son nom au générique de L’homme qui venait du Cher, “western musical télévisuel” avec, entre autres, Nino Ferrer, Françoise Hardy et Eddy Mitchell.



Toujours en 1969, Isabelle sort un 4e single à l’occasion de l’inauguration de Port Grimaud, qui, après des années de travaux, débouche directement sur la mer :
1. Port-Grimaud (H. Giraud, E. Marnay)
2. Instrumental

Le 45 tours suivant est une véritable rareté (Pathé 2C006-10768) :



1. Le vieux saule (Viola enluarada) (Marcos Valle, Paulo Sergio Valle - adapt. J.-P. Lang & C. Chevrot)
2.
Amour amitié (superbe chanson de Pierre Vassiliu pour laquelle ils ont adapté les textes : “Mais elle a eu un seul amant” devient “Mais je n'ai eu qu’un seul amant”). Isabelle : “C'est une magnifique chanson et honnêtement, la version était superbe, j'adorerais le réécouter”. [Update juin 2011 : on peut entendre ce titre ici.]



En mai 1970, à la mairie du 1er arrondissement, elle épouse l’acteur Michel Duchaussoy (Jean Yanne demande à être son témoin). Ils divorceront en octobre 1971 – cf. les 2 pages de Jours de France plus bas (n° 815, 4 août 1970).
À cette époque, on la voit au cinéma et sur le petit écran (7) : Ces messieurs de la gâchette (1970), la série télé Musique s'il vous plaît (1970), Raphaël ou le débauché (1971, dans lequel elle apparaît aux côtés de Maurice Ronet et Françoise Fabian), Le dessous des cartes d'une partie de whist (1971), Les Dossiers de Maître Robineau : Les disparus de Senlis (1972), Pont dormant"(1972) et bien sûr Baba Yaga, dans lequel elle tient le rôle d'une photographe de mode (1973), puis Esprits de famille (1975) et Le Coup monté (1978), téléfilm écrit et réalisé par Jean Cosmos.

En 1976, retour discographique avec ce dernier simple (Flamophone/Barclay 620.204) :
1. Comme Madame Bovary (Laurence Matalon / Jean Musy) – que l’on peut entendre ici
2. Donnez-moi la force (Richard Gilly / Christian Padovan)
Produit par Claude Putterflam, ce disque est sensé annoncer un premier LP avec des participations diverses (Yves Duteil, Maxime Le Forestier) qui ne verra jamais le jour. 


Inexplicablement, à l'heure actuelle, un seul des titres d’Isabelle est disponible sur CD (8). On l’aurait pourtant bien vue, par exemple, sur la compilation La Belle Epoque – EMI's french girls 1965-1968, sortie en 2007, et sur laquelle figurent 3 titres des Roche Martin.
 
Fin des années 1970, Isabelle devient attachée de presse chez Polydor, chez Phonogram (notamment dAlain Bashung époque Vertige de l'amour, également pour Lio), avant de prendre le large (Australie, puis Colombie où elle vivra 20 ans). Elle aura la surprise un jour de 1993 d’y recevoir un coup de téléphone de l’animateur-radio Jean-Michel Gravier qui lui permet de dialoguer en direct à l'antenne d’O’FM avec Violaine – ce qui la touchera beaucoup.
Extraits :
Violaine : Les souvenirs sont très nets chez moi.
Isabelle : Chez moi aussi. C'est très émouvant de t'entendre.
Violaine : Tu sais, on a envoyé tous nos Sherlock Holmes dans tous les sens pour te retrouver.
Isabelle : Je vis dans un petit village perché dans la Cordillère. On a le téléphone seulement depuis 1 mois 1/2 !
Violaine : Je sais par François Bernheim
que tu fais des photos.
isabelle : Oui, c’est ce qui m'a amenée en Colombie la première fois : un reportage sur une mine d’émeraudes, il y a 2 ans. Et je vis maintenant ici avec ma fille Lisa qui a 20 ans, des chats, des chiens, des chevaux, la nature... On nous prend un peu pour des extra-terrestres ! Ici, tout le monde est très macho et voir deux femmes retaper une maison, ça surprend. Il y a un côté très western... La police secrète est venue parce qu’on avait eu un vol à la maison et ils m’ont appris à tirer. Je mets un revolver armé de 6 balles sous mon oreiller quand je vais dormir ! Et quand il y avait la guérilla, le matin, je partais à cheval acheter du pain, de la viande... avec un revolver. Mais je n'ai jamais tiré sur personne !

 
Autre corde à son arc, elle a écrit il y a 20 ans un roman encore inédit, “une histoire incroyable”, dit-elle... Absolument incroyable, mais vraie. Deux ans d’écriture, une année de relecture… et cinq années à digérer le fait que le livre ne sera pas publié : Paul-Loup Sulitzer, séduit, veut lui trouver un éditeur au moment où lui tombent dessus de gros ennuis… Le timing n’était pas bon, Isabelle ne deviendra pas romancière.


Aujourd'hui [en 2009], elle fait des photos, qu’on peut voir ici (avec sa fille sur certains portraits en couleurs). Jamais vraiment sédentaire, elle peut disparaître sans crier gare quelques jours pour un reportage. Mais la plupart du temps, elle est à Paris et promène son chien dans les jardins du Palais Royal où elle croise parfois, de loin, les ombres d'un passé qui lui semble aujourd'hui bien loin... [Update 2013 : elle vit aujourd’hui en Normandie]


___________
1. Isabella Christine Inès Léonore est née le 27 juillet 1944 et a été élevée, avec son frère Charles, par François Gir
, qui épousa leur mère en 1952. Il était le fils de Jeanne Fusier-Gir, comédienne fétiche de Sacha Guitry, qu'Isabelle appelait “Nanny” et dont elle dit qu'elle était un “être lumineux”, qu’elle ne l’a jamais entendu dire du mal de personne”.
2. Jours de France n° 607 du 2 juillet 1966.
3. Le désespoir des singes et autres bagatelles (2008)
4. Lisa vit aujourd'hui en Argentine où elle est devenue complètement "dingo du tango".
[Update : elle vit aujourd’hui en France]
5. Platine n° 158, février 2009.
6. Paris Match n° 1041 du 19 avril 1969.
7. Elle fait la couverture de Télé 7 Jours, n° 578 du 22 mai 1971.
8. La journée d'Isabelle, disponible sur la compilation Femmes de Paris (volume 3), sortie en 2004 chez Wagram.



Un lien vers le site de référence de la discographie française Encyclopédisque (que ce soit pour les artistes, auteurs, compositeurs, photographes et mêmes les concepteurs graphiques) à la page Isabelle : ici


TVgraphie non exhaustive d'Isabelle :
30 septembre 1966 - Dim Dam Dom

9 février 1967 - Palmarès des chansons
Guy Béart présente le jury des vedettes composé de : René Clair, Louis Leprince-Ringuet, Louise de Vilmorin, Maurice Biraud, Francois Villiers, Annabel et Bernard Buffet, Claire Sombert et Isabelle


5 novembre 1968 - Music Album
Isabelle chante Mon voisin (direct).
La vidéo est visible ici



16 novembre 1968 - A l'affiche du monde
Isabelle chante Mon voisin.
La vidéo est visible ici


6 mars 1969 - Musicolor
Isabelle chante Mon voisin (direct)


21 juin 1969 - Samedi et Compagnie
duo Isabelle et Michel Delpech Un petit vin blanc


5 juillet 1969 - Charmantes connaissances
Isabelle chante Deux par deux



15 janvier 1972 - Le disparu de Senlis


Nouveauté :
ouverture d'une page facebook au nom d’Isabelle de Funès


Update septembre 2013 :
ces trois photos prises dans sa campagne normande
© Laurent Calut :


 

Update août 2016 :
Isabelle dans sa campagne normande
© Laurent Calut :


vendredi 9 janvier 2009

Colette Sanson

Pour son excellente biographie (Doux dehors, fou dedans, Jean-Claude Lattès, 2001), Jean-François Brieu a rencontré Colette Sanson, mère de Véronique et Violaine, en décembre 1997, puis en mars 1998… et il a eu la lumineuse et généreuse idée d’envoyer ses cassettes d’interview à Véronique il y a quelques mois. Qu’il en soit ici remercié ! Elles ont été dûment numérisées et il apparaît qu’on dispose là d’un incroyable témoignage sur la Seconde guerre mondiale. Colette et René Sanson n’étaient pas du genre à se glorifier de leurs exploits, ce qui donne d’autant plus d’intérêt au récit retranscrit ici. J’ai tâché de retrouver l’orthographe exacte des noms cités (merci Google). Si vous y voyez une erreur, n’hésitez pas à la signaler.

“On était des mystiques,
on n’était pas normaux”



“L’imbécile est devant vous !”
En 1940, pendant la drôle de guerre, je travaillais dans les bureaux de l’état-major de l’armée à l’École militaire à Paris. Avant ça, j’ai fait un an de droit mais mes parents ne pouvaient pas me faire poursuivre des études supérieures. Ils m’ont dit “Il faut quand même que tu gagnes ta vie” et je suis devenue secrétaire à différents endroits avant finalement d'arriver dans une affaire d’assurances cinéma – très intéressante profession, c’était très amusant. Là-bas, mon patron, qui s’appelait Mizrah,
m’avait dit “Vous savez les Juifs, on les envoie dans un pays qui s’appelle Pitchipoï” et Pitchipoï on ne sait pas ce que c’est, c’est comme l’Eldorado, c’est un pays imaginaire. On disait “Le pauvre, il a été emmené par la police et il doit être à Pitchipoï…” Pour ne pas être envoyé là-bas, il nous a donc licenciés avec mon autre collègue avant de partir aux États-Unis et, à ce moment-là, un ami de mon père a dit : “Si ta fille le veut bien, elle peut entrer à l’état-major parce qu’on a besoin de quelqu’un de sûr et qui parle anglais”. Alors je suis entrée dans une équipe merveilleuse d’officiers avec qui j’ai gardé des contacts extraordinairement chaleureux et nous nous occupions de sabotage. À un moment donné, nous avions préparé le sabotage d’un cargo à Rotterdam. On m’a dit d’aller au Chiffre pour voir s’il y avait des nouvelles de ce cargo. Je suis donc allée au Service du chiffre qui n’était pas à l’école militaire mais avenue de [nom pas compris] pour attendre les dépêches. En attendant, on m’a demandé si je pouvais aider à décrypter des télégrammes en provenance de Hollande – ce que j’ai fait et je suis tombée sur un télégramme qui provenait de La Haye  et qui indiquait que les Allemands étaient prêts à attaquer. Ça devait se situer tout au début du mois de mai 40. Ce télégramme était mal crypté, il y avait une erreur, et à l’époque il n’y avait pas de machine, donc quand on faisait une erreur de chiffres c’était un puzzle terrible… mais comme au début du télégramme il y avait tellement de choses intéressantes, j’ai passé la moitié de la nuit à le déchiffrer. 
Et la débâcle est arrivée, je suis partie avec mes officiers (je dis mes officiers pas du tout parce qu’ils m’appartenaient mais parce que je les aime beaucoup). On est arrivés à Toulouse et là, il y avait tous les gens qui étaient repliés des services spéciaux et, entre autres, il y avait un jeune homme qui était là et qui venait de La Haye et je lui ai dit “Je ne sais pas quel est l’imbécile qui a codé le message qui annonçait l’attaque allemande” et il m’a dit “L’imbécile est devant vous !” (rires). Ce qui fait que ça met du liant. On avait en plus beaucoup d’idées communes sur la guerre et donc on s’est bien trouvés. 
Mon mari était étudiant en droit, il a fait la guerre comme tout un chacun et il a été envoyé à La Haye parce qu’il parlait l’anglais, l’allemand et le néerlandais. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé au cabinet de l’attaché militaire de l’ambassade de La Haye et comme les chiffreurs, deux ecclésiastiques, étaient partis en vacances, ils lui avaient donné seulement les rudiments… C’est pour ça qu’il avait fait une petite erreur.


Le réseau du Musée de l’Homme
La France était partagée en deux mais on avait des antennes en zone occupée et en zone non occupée. À cause du métier que j’avais fait à l’état-major, j’avais beaucoup d’adresses d’agents à l’étranger, à Tanger, à Gibraltar… En revanche mon mari avait beaucoup de possibilités de contacts avec des informateurs. À ce moment-là, le commandant de mon antenne de Paris m’a dit “Est-ce que vous voulez que je vous case à Vichy ?”. Il fallait bien vivre, nous sommes allés à Vichy. Pour mon mari aussi c’était intéressant parce que c’était là où les choses se passaient. Et au cours d’un voyage il a été contacté par un garçon qui s’appelait – il est mort maintenant – André Weil-Curriel et qui était un membre du réseau du Musée de l’Homme. C’était le premier réseau vraiment organisé. D’ailleurs ils ont payé très vite : c’est là où il y avait Vildé et Lewitsky qui ont été fusillés. Les femmes ont été condamnées à mort, les hommes ont été exécutés. Et donc on nous a demandé d’essayer de réunir des renseignements pour les envoyer aux Alliés. J’avais plusieurs adresses – j’avais l’autre bout du robinet si vous voulez – et mon mari avait un ami qui était très actif, Pierre Viénot, un député socialiste si mes souvenirs sont bons et qui avait fait beaucoup pour aider les Tunisiens à se sortir de la colonisation – ce dont ils étaient très reconnaissants. Il fonctionnait en zone Nord, donnait des renseignements et il recrutait. Et il y avait un autre garçon qui était en zone Sud, qui est devenu commissaire de la République à Toulouse et qui s’appelait Pierre Bertaux, qui a été directeur de la Sûreté, et qui faisait le recrutement dans la zone Sud. On réunissait les informations. Au début on n’avait aucune autre façon que d’écrire à l’encre sympathique dans des revers d’enveloppes. C’était pittoresque… J’ai donc envoyé des informations à Tanger, un de nos ex-agents de l’état-major, qui s’est fait arrêter. Sur lui, il y avait une de nos lettres et on a été arrêtés à Vichy, le 20 décembre 1940. On nous a interrogés sans relâche. On est restés 3 jours sans se déshabiller – ce qui est très dur : on avait l’impression d’être répugnants… Et ils nous ont relâchés, parce qu’évidemment on a nié jusqu’à plus soif. On nous a laissé partir. C’était le 24 décembre 40. Et là on s’est dit que Vichy était peut-être un peu trop chaud pour nous. Nous avions un contact à Marseille, qui nous a probablement sauvé la vie à tous les deux, qui était un négociant en grains, Michel Godschmidt, que nous ne connaissions pas mais dont nous connaissions la belle-sœur qui nous avait donné un mot de passe pour se présenter devant lui. Il n’a pas hésité une seconde, il nous a hébergés et on est restés à Marseille pendant quelques mois. On continuait à fonctionner avec des moyens quand même un petit peu moins rudimentaires, avec une antenne à Monte Carlo qui pouvait envoyer des messages radio. Ensuite on a été hébergés à Cannes chez une femme merveilleuse qui a été une grande figure de la Résistance, Bernadette Ratier, qui nous a reçus dans une villa extraordinaire, une villa de fous. Tout le monde était complètement fou. C’était très curieux. Quand nous sommes arrivés, il pleuvait comme il peut pleuvoir dans le Midi. Il y avait ce rideau de pluie et dans l’allée, il y avait une balançoire et sur cette balançoire, il y avait une jeune fille qui se balançait en robe blanche sous la pluie, et un Indochinois avec un parapluie pour l’abriter.

Dénoncés par un officier français
Mon mari à ce moment-là était très très net, tout à fait victorien, avec un pardessus noir, un parapluie idem et un chapeau à bords roulés. Il se piquait – et il se pique toujours d’ailleurs – d’être très élégant. Et quand nous sommes arrivés, Bernadette Ratier a dit à mon mari “Ah je vois ce que c’est, vous êtes le père de la bonne !” (rires) En deux minutes, elle nous a dit “Absolument, je vous héberge sans problème. Vous pouvez rester là.” Il y avait une véritable tribu dans cette villa, avec des gens qui étaient en cavale ou qui allaient l’être. Et il y avait un vieux général, le général Mordacq, qui avait été, si mes souvenirs sont bons, le chef de la maison militaire de l’Élysée au moment de Lebrun. Lui au contraire était très rigoureux, très strict et il nous regardait avec un air très réprobateur parce qu’on était tout fous, bien sûr. Là on a quand même fonctionné très très bien, on a eu beaucoup de renseignements qu’on a transmis par le boulevard des Moulins à Monte-Carlo… et puis nous avons été dénoncés, par un officier français – ça je dois dire que je l’ai encore en travers de la gorge… Un jour, le 7 août 41, mon mari a été arrêté à Marseille chez Michel Goldschmidt, et le 8 août, j’ai été arrêtée à Cannes. Les inspecteurs m’ont dit : “Vous savez, on vous emmène à Marseille mais c’est une routine, on vous ramènera dans 48 heures” et j’ai pris, heureusement – au mois d’août c’était pas évident – une robe de chambre matelassée et une robe de crêpe de Chine  – c’était la mode à l’époque, des petits escarpins et puis rien d’autre puisqu’on devait me ramener… mais je suis restée 15 mois en prison, dont 8 au secret. Mon mari était au Fort Saint-Nicolas à Marseille où il a rencontré les gens du Destour (Bourguiba, Nouira…). Ils étaient là en même temps que lui, ce qui fait que quand on est allés en Tunisie, on a un peu eu le tapis rouge quand même…


Pas de lumière et à manger tous les 3 jours

Moi j’étais dans une immonde prison qui s’appelait Les Présentines qui, grâce au Ciel, a été démolie. C’était un ancien couvent, répugnant. C’était plein de vermine : des cafards, des poux, des punaises, des rats. Les rats ça m’est égal, mais les punaises, les poux et les cafards, c’est affreux. Alors je dois avoir une mentalité spéciale parce que je ne me suis pas affolée du tout, j’étais sûre d’en sortir. Quand on est au secret, on ne vous sort même pas, mais après quand j’ai été mélangée avec toutes sortes de détenus de droit commun – parce que finalement l’article 75 qui traite de trahison, c’est un article du Code pénal – je me suis dit : “Par où est-ce que je vais pouvoir sortir ?”. Mon mari, lui, a été 9 mois au secret. Je pense que Saint-Nicolas était très dur, mais plus propre. Quand on est au secret, pas de lumière et à manger tous les 3 jours, c’est horrible. Vous perdez le sens du temps. Vous ne savez pas si c’est le jour ou la nuit. Pendant 3 jours, vous ne voyez personne. Alors les co-détenues s’arrangeaient pour faire beaucoup de bruit quand elles descendaient à la promenade pour que je sache à peu près l’heure qu’il était – parce que le cachot était au sous-sol. Au bout de 15 mois, nous avons été jugés par un tribunal militaire, conseil de guerre. Ça a été assez épique. J’ai été condamnée à 15 mois de prison, donc j’avais fait mon temps, et mon mari a été condamné à 30 mois. Je me suis préparée à sortir de prison mais il y a un aimable préfet de Marseille qui s’appelait l’amiral Rodelette du Prosic (?) qui a considéré que j’étais dangereuse pour la santé publique et la Défense nationale et qui m’a envoyée dans un camp de concentration dans un petit bled qui s’appelle Brens, en zone non occupée. Donc les gardiens étaient français, le commissaire était français bien sûr mais à un moment la zone Sud a été envahie. Les Allemands sont arrivés et à ce moment-là, en novembre 42, du camp où j’étais, sont partis des convois pour l’Allemagne… Ils ont pêché dans les dossiers et ont d’abord déporté les opposantes allemandes, les communistes, les catholiques (il y avait une sœur allemande qui a été déportée). Tout ce monde-là n’est jamais revenu bien entendu… Ensuite ils ont déporté les juives, les communistes françaises… Les Polonaises se sont trempé les pieds dans l’eau bouillante pour ne pas partir, mais les Allemands les ont mises dans les camions avec leurs pieds ébouillantés. Les gitanes aussi naturellement, Il y en avait un paquet parce qu’elles étaient venues entre autres avec les Espagnols de la guerre d’Espagne. Il y avait beaucoup d’Espagnols à Brens et c’est d’ailleurs là que j’ai perfectionné mon espagnol. Il y avait des femmes et des enfants. Les femmes ne disaient pas grand chose quand je faisais une faute, mais les enfants ne vous loupent pas : “Ah t’as dit ça, c’est pas comme ça que ça se dit !” Et donc quand on a vu que ça se rapprochait, que les Gaullistes allaient bientôt être déportés, on s’est dit : “Il faut qu’on sorte de là”. C’est très curieux parce que le camp de Brens est sur le bord du Tarn et le Tarn est très encaissé, c’est pas du tout les gorges du Tarn. Sur le côté du fleuve, il y avait très peu de gardes. Sur l’autre côté, c’était les miliciens qui nous gardaient et sur le côté routes et prairies, il y avait également beaucoup de gardes. J’étais avec une autre fille qui était gaulliste aussi, et on ne savait pas ce qu’on allait trouver en sortant du camp… On s’est rapprochées d’un milicien qui était plus âgé que les autres, et qui avait l’air d’être un peu plus humain et on lui a expliqué qu’on allait gagner la guerre et qu’après la guerre, il serait fusillé. Ça lui était complètement égal. Mais quand on lui a dit : “En plus, on vous supprimera votre retraite”, là il a dit “Tout mais pas ça” (rires). Alors on lui a dit : “On a une pince, on va couper les barbelés – qui n’étaient pas électrifiés – et on va passer sur le chemin qui borde le Tarn.” Il nous a dit “Moi, je ne vous verrai pas”. Il n’a pas eu besoin d’ailleurs parce qu’il n’était pas là le jour où on avait décidé de partir. 

“Le Ciel était avec nous”
C’est très curieux parce que là vraiment le Ciel était avec nous. On avait décidé qu’on s’évaderait tel jour, le 23 août 1943. Et ce jour-là, il y a eu un orage, un orage du Midi. Ce qui fait que les gardiens étaient dans leur guérites, les chiens le nez dans les flaques, et on est passées sans problème. On s’est trouvées sur un petit sentier qui bordait le Tarn dans une nuit absolument noirissime. Moi j’avais un bleu de mécanicien, qu’on avait volé bien sûr parce qu’au camp on portait la robe de bure et des sabots. J’avais mis mes escarpins dans une petite valise en toile que j’ai gardée, qui est répugnante – c’est le moment de le dire : elle a fait la guerre. J’avais dit à mon amie “On aura l’air de touristes”. On avait un peu d’argent parce que sa sœur était venue la voir et lui avait glissé quelques billets qui correspondraient peut-être maintenant à 500 francs. C’était une fille d’un courage inouï, je l’avais repérée au regard. Elle avait un regard bleu électrique et me paraissait volontaire, parce qu’il faut quand même un peu de courage pour s’évader : les gardiens ont des mitraillettes… On a quand même concocté toute cette histoire et la chance a voulu que cet orage éclate qui a neutralisé gardiens et chiens. On ne voyait rien, on s’est dit qu’il fallait descendre adossées à la paroi, on se retenait aux petits arbustes. Ça allait de plus en vite, on est arrivées en bas dans la boue du Tarn jusqu’aux genoux. Alors on a bien retrouvé nos pieds, mais on n’a pas retrouvé nos chaussures… On a marché pieds nus… C’était le couvre-feu et quand on voyait arriver une voiture, on s’en allait dans les champs… mais le 23 août les moissons sont faites… On était couvertes de boue comme il est pas permis. On est parties vers 11 h 30, minuit et on a marché toute la nuit. Le long du Tarn, on ne voyait rien, on ne savait pas par où remonter… et on a trouvé une pile de bois coupé. On s’est dit “Si ces gens sont descendus pour couper le bois, ils ne sont pas descendus par parachute, donc on va trouver un sentier…” Et effectivement, on est remontées et on vu “Albi 35 km” sur les merveilleuses petites bornes blanches et rouges qui me manquent bien sur les routes maintenant. 



35 km pieds nus
J’avais une adresse à Albi, celle d’une amie de ma sœur. Je me suis dit que j’allais sonner à sa porte… mais c’était le 23 août… les vacances… Il y a une fenêtre qui s’est ouverte “Ah Madame Untel, elle est partie en vacances avec ses enfants”. Entre temps, on s’était lavées dans les fontaines. J’avais lavé mon bleu de chauffe de mécanicien et je l’avais renfilé mouillé mais Il faisait chaud, ça a séché sur la bête. On s’était un peu coiffées, refait une tête décente. Ma petite amie avait une robe blanche qu’on a aussi lavée et qu’elle a renfilée sur elle. Donc on s’est dit “Que fait-on ?”. On avait un peu de sous, mais on était toujours pieds nus parce que quand vous avez marché 35 km dans les chaumes, vous ne pouvez plus enfiler de chaussures, et puis on voulait garder ça pour aller en ville. Alors on est arrivées en ville et on est allées à la gare. Elle m’a dit “Si on a des sous, on peut prendre un billet.” Mais pour où ? “On peut aller à Toulouse où à Arles.” À Arles, on avait une adresse de gens qui étaient des résistants, des communistes, et on savait qu’ils pouvaient nous aider. Mais le train pour Marseille repassait par Gaillac, c’est-à-dire l’endroit d’où on venait… Autrement il y avait un train le lendemain mais on ne voulait pas rester à Albi pendant la nuit, on était recherchées quand même… Alors on a pris ce train qui, au lieu de s’arrêter 1 minute à Gaillac, est resté à peu près 20 minutes en gare. On s’était réfugiées dans les toilettes. Ils ont fouillé le compartiment, ils ont tapé à la porte des toilettes et on a entendu un des fouilleurs dire “C’est sûrement condamné”, et ils sont repartis. Ce qui est drôle c’est que les trains étaient bondés à l’époque et les gens des compartiments ont compris que c’était nous qu’on recherchait, des filles sans chaussures, un peu échevelées quand même – J’avais les cheveux très longs – et à ce moment-là, on sentait que les Allemands n’avaient pas tout gagné. Les gens n’ont rien dit et au contraire ils nous ont fait des petits sourires entendus…


“On n’a rien pu manger”

On est descendues du train à Arles, où notre contact communiste était. L’adresse était dans le quartier de la gare. C’était sinistre, c’était le couvre-feu, toutes les fenêtres et portes étaient masquées, on ne voyait aucune lumière. C’était au 13 de rue de la Cavalerie – si mes souvenirs sont bons. On a poussé la porte, on ne savait pas où on allait. C’était un café en forme de couloir, remplis de soldats allemands, et au fond de ce café, il y avait le zinc et derrière, il y avait le patron qui nous a vu arriver. Je soutenais ma pauvre petite amie qui ne pouvait plus marcher. Les Allemands étaient là : “Kranken Fuss ?”… Et il nous a dit : “Faites le tour !”, ce qu’on a fait. On est arrivées dans l’arrière-boutique du café. Il nous a demandé d’où on venait. On lui a dit qu’on était évadées, on lui a raconté notre histoire. Il a dit “Écoutez, vous allez dormir dans notre lit parce qu’on n’a qu’une chambre au-dessus du café, je ne veux pas que vous circuliez à Arles, et je vais vous faire à manger.” On était depuis 24 heures sans avoir avalé quoi que ce soit… On était dans un état de jubilation fabuleuse. Il n’y a pas une sensation plus exaltante que retrouver la liberté. Un état de surexcitation, d’exaltation fantastique, on n’arrêtait pas d’avoir des larmes qui coulaient, de s’embrasser… Ces gens étaient très gentils, ils ont dû tuer un lapin et nous le faire, fricassé. On n’a rien pu manger, rien pu manger… On a dormi dans leur lit, ils sont allés dormir ailleurs, et le lendemain ils nous ont envoyés chez des paysans pour nous cacher. 

“On était enragés”
C’était un membre des Mouvements unis de la Résistance (les Murs) et la personne qui s’occupait des services sociaux de cette organisation était la sœur de Georges Bidault (futur président du Gouvernement provisoire de la République), Élisabeth Bidault, dont l’adjointe était précisément Bernadette Ratier chez qui j’avais été arrêtée. Alors il a fait passer un message – on n’a pas donné nos noms bien sûr, juste dit que nous venions de Brens – et mon amie Bernadette Ratier a dit “Il y a 36 raisons de penser que c’est Colette Lucas”. Alors elle a envoyé quelqu’un en disant “Est-ce que vous voulez reprendre du service ?”. J’ai dit oui tout de suite. Vous savez, on était enragés à ce moment-là, on était plus dangereux qu’avant… Mon amie a dit oui aussi “mais il faut juste que je repasse dans ma famille – elle était de Gap – je reprendrai du service dans mon coin, je ne veux pas remonter dans le Nord” – Lyon à ce moment-là, c’était le Grand Nord. Elle l’a fait, elle a été arrêtée encore, cette fois par la Gestapo, elle s’est jetée d’un premier étage au-dessus d’un café, elle est tombée dans le store du café et est partie à pied. C’est quelqu’un…


Le réseau Combat
Et à ce moment-là, on m’a proposé de monter à Lyon pour m’engager dans le réseau Combat, un réseau moins ancien que celui du Musée de l’Homme mais qui était très important. Et là je travaillais avec des gens que je connaissais : un confrère de mon mari qui s’appelait Jean Bloch-Michel – et il y avait le professeur Bloch-Michel qui a été assassiné par les Allemands – et puis il y avait beaucoup de gens connus qui venaient, qui passaient. Là j’ai fait l’agent de liaison. On allait chercher de l’argent à la frontière suisse. Et à ce moment-là mon mari a été libéré (en février 44). J’avais eu des nouvelles parce que nous avions eu en prison le même avocat, Gaston Deferre, et quand je me suis évadée, je savais où il était : il avait été transféré dans une ferme-prison. Je suis allée le voir à vélo d’Arles à Assenas. La ferme-prison était gérée par des Dominicains et je suis arrivée devant un très beau Dominicain barbu, j’ai dit “Je voudrais voir René Sanson”. Il m’a demandé si j’étais parente, j’ai répondu “Pas du tout” et j’ai donné mon nom, Colette Lucas. Et comme mon mari recevait des lettres de moi quand même en prison, il m’a dit “Mais vous êtes évadée !” “Oui, mais ça ne m’empêche pas de le voir”. Donc je l’ai vu. On avait quand même eu des nouvelles, mais c’était difficile parce qu’à Lyon c’était très dangereux. La milice était deux fois plus dangereuse que la Gestapo. C’était effrayant. Alors on bougeait beaucoup… J’étais à Combat avec une fille qui était absolument merveilleuse qui n’était pas encore la femme de Charles de Chambrun à ce moment-là, je crois qu’elle s’appelle Élisabeth. On bougeait énormément, on changeait d’appartement pour pas être repérés. 



“Le doigt de Dieu m'a épargnée”
Quand mon mari a été libéré, par un tour de passe-passe de la Résistance qui a mis son dossier dans un paquet de libérables, il a reçu sa levée d’écrou et il est arrivé à Lyon chez moi à un moment où j’étais très malade. J’avais attrapé bronchite sur bronchite. Vous savez, on était des mystiques à ce moment-là, on n’était pas normaux. Je trimballais de l’argent par paquets (des briques, c’est le moment de le dire) mais on n’en distrayait pas un centime – ce qui fait que j’avais des chaussures de paille qui faisaient le crocodile et j’étais tout le temps malade, je n’étais pas bien du tout. Mon mari est allé trouver son confrère Jean Bloch-Michel en disant “Vous voulez la tuer ? Je l’emmène à Paris”. Nous sommes partis de Lyon le 29 février 44 et le lendemain – le doigt de Dieu m’a épargnée – tout le bureau où j’étais a été arrêté. Ils ont été transférés au Fort Saint-Jean. La plupart de ces gens sont morts. Beaucoup ont été déportés, d’autres sont restés au Fort Saint-Jean, ont eu des maladies… Jean Bloch-Michel est mort beaucoup trop jeune… Il avait des séquelles, il avait été battu à mort. C’est horrible. Et donc mon mari est rentré avec moi. On m’a collée dans un hôpital. J’avais une tension tellement effondrée qu’on n’arrivait plus à la prendre. J’ai retrouvé Bernadette Ratier et Élisabeth Bidault qui m’ont apporté pour leur première visite une mémorable bûche roulée au chocolat. Je ne savais plus ce que c’était. On m’a requinquée un peu avec de la nourriture, un peu de repos. Pendant ce temps-là, mon mari avait rencontré un garçon qui était un type merveilleux, un avocat, ancien premier secrétaire de la conférence des avocats, qui s’appelait Émile Laffon. Un génie, une lumière. Il était au gouvernement provisoire de la république clandestin et c’est ce gouvernement qui a organisé le territoire français pour que les Américains ne nous mettent pas à leur botte. Au moment où les Allemands partaient, ils avaient déjà nommé des préfets, des commissaires de la République et quand les Américains sont arrivés, sur place il y avait déjà des autorités issues de la Résistance. Ce travail a été fait en grande partie par Laffon, qui était d’une intelligence formidable. Il est mort hélas. Mon mari s’est intégré au gouvernement provisoire, qui se réunissait clandestinement du côté de l’Hôtel de ville. Et au moment de la Libération de Paris, il y avait des barricades pratiquement partout, du côté de l’Hôtel de ville. Mon mari a failli se faire tuer sur une barricade : en voulant la sauter, il a reçu un coup de fusil. Il a eu de la chance de s’en tirer, il a perdu une pipe qu’il pleure encore – enfin plus maintenant parce qu’il ne fume plus, mais il l’a pleurée pendant des années  !


“Les gens ne sont pas des moines…”
Tout naturellement au moment de la Libération, il s’est retrouvé au ministère de l’Intérieur, au cabinet du ministre qui était à ce moment-là – si mes souvenirs sont bons – Adrien Tixier. C’était un ancien mutilé de la guerre 14-18, une teigne… mais enfin il a fait un très bon boulot. Dans le cabinet il y avait Pierre Mendès-France et Edgar Faure et un jour mon mari est rentré en disant “Je viens de rencontrer un confrère. Celui-là, on en parlera, il est extraordinairement intelligent. C’est Edgar Faure.” Tixier étant caractériel, mon mari s’est dit “Un jour, je vais faire un éclat, ça ne va pas plaire.” Alors Mendès-France lui a offert une place à son cabinet, il y a émigré. C’était l’époque de la préparation des Nations-unies. Entre temps, on s’était un petit peu mariés quand même. Il a fallu d’abord qu’on s’établisse de vrais papiers. On faisait la queue pour se marier. Dans les cabinets, on ne pouvait pas partir parce qu’un tel se mariait, tout le monde régularisait 4 ans de guerre… Les gens ne sont pas des moines… Il y a eu des brouettées de mariés à ce moment-là. On s’est mariés le 19 janvier 1945. 



“Mais non, il marche encore ce savon !”
Et mon mari a été envoyé à San Francisco en avril pour la rédaction de la charte des Nations-unies. Il est parti dans un avion à hélice – puisqu’à l’époque les jets n’existaient pas – pour New York et il a traversé les États-Unis en train, ce qui était éblouissant d’après lui. Je n’ai jamais fait ça, j’en rêve… Ils ont mis 4 jours, et il est arrivé dans une ville qui n’avait pas beaucoup entendu parler de la guerre, un peu comme les Français de base qui entendent parler de la guerre au Rwanda aujourd’hui… Finalement la guerre les a concernés dans le sens où quelques boys ont été touchés… Ce n’était pas du tout leur affaire dans le fond… Il est arrivé dans un pays en pleine prospérité alors qu’ici nous étions encore en état de misère. Il était dans un très joli hôtel qui s’appelait le St. Francis et, tous les matins, on lui changeait son savon. La femme de chambre noire prenait le savon qui avait juste été utilisé une fois et le mettait dans les corbeilles à papier. Il lui a dit “Mais non, il marche encore ce savon !”. Alors elle lui a donné une poignée de savons, qu’il a rapportés d’ailleurs. Donc il était parti avec la délégation française qui – si mes souvenirs sont bons – était menée par Paul-Boncour et ensuite par Georges Bidault. Ils étaient dans cet hôtel avec pas mal de délégations étrangères, dont la délégation russe, et mon mari avait Molotov dans la chambre en-dessous de la sienne. Toute la construction de cette charte a été très compliquée. Il y avait eu une réunion préparatoire à Londres, sans doute début 45, et déjà à ce moment-là, ils pensaient bien que les choses allaient être très difficiles à manipuler. D’abord parce que pour les Soviétiques, il y avait des républiques, donc ils avaient un nombre de voix exorbitant par rapport à l’Amérique qui avait une voix. Ils avaient l’Ukraine, la Biélorussie, le Caucase etc. qui n’étaient pas plus indépendants que votre chaussure par rapport à votre pied. 


Un bikini dans une valise diplomatique
Mon mari y est resté 3 mois à San Francisco. Il nous a beaucoup ravitaillés par la valise diplomatique. Nous on n’avait rien parce que quand je suis partie du camp je n’avais rien du tout, et je n’avais plus grand chose chez mes parents non plus. C’est très dur ce que je vais dire mais c’est vrai : il y a eu un moment quand il n’ont plus du tout eu de nouvelles où ils ont cru que j’étais morte. Et ils se sont partagé mes vêtements… Alors il m’en a envoyé beaucoup. Entre autre, il m’a envoyé le premier bikini – ça ne s’appelait pas encore comme ça à l’époque, c’était un deux-pièces – dans la valise diplomatique de l’Amiral Thierry d'Argenlieu, qui ne savait pas ce qu’il transportait bien sûr. C’était drôle ! Et des manteaux, des choses comme ça, quelques denrées diverses et variées… Là il s’est fait de solides amitiés avec des gens du Quai d’Orsay, entre autres avec Pierre Chatenay qui a été ministre de l’Intérieur, qui est resté notre ami jusqu’à sa mort il y a quelques mois. Il y avait Jean Béliard qui a été ambassadeur au Brésil, au Canada et un garçon qui s’appelait Roger Vaurs, un génie des relations publiques. Il a été pendant très longtemps notre représentant à l’ambassade de France à New York avec la presse. Tous les grands journalistes venaient chez lui. On a eu des soirées scintillantes, extraordinaires, avec toute la presse américaine, et nous essayant d’expliquer notre cas – ce qui n’était pas facile. Les Américains sont toujours très repliés, c’était difficile de les concerner. Enfin, ça a été très amusant. Et il est rentré enchanté de San Francisco.


L’histoire de l’appartement du 5e étage
Au moment de la Libération de Paris, nous habitions rue de la Source et nous vivions dans le péché puisque nous n’étions pas encore mariés. Pas commode de se marier avec de faux papiers… Un jour, il y a un des petits militants qui est venu trouver mon mari. Il était extraordinaire ce gars-là. C’était juste aux moment de la Libération de Paris, et lui il était affublé… Il avait un casque de la première guerre mondiale, un treillis – je ne sais pas où il se l’était procuré –, une carabine sur l’épaule, des boots… C’était un assemblage incroyable. Il a dit “Vous savez patron, j’ai trouvé un appartement de nazis, il est plein de photos de Goering et d’Hitler. Vous devriez aller voir ça parce qu’il est naturellement réquisitionnable.” À ce moment-là, mon mari était chargé de mission au ministère de l’intérieur de la Libération, Adrien Tixier. On est allés tous les deux, on a vu cet appartement qui avait été déménagé en toute hâte : on voyait qu’ils avaient emporté tout ce qu’ils pouvaient. Et on a eu une réquisition pour cet appartement. Mais mon mari a dit “Je ne veux pas être sous réquisition, je veux louer.” Ça appartenait à la Fondation Cognacq-Jay qui possédait un certain nombre d’immeubles dans le quartier, et qui nous a loué comme à n’importe quel pékin. On n’a pas eu de traitement de faveur. Les années ont passé. Un jour, on a appris que l’appartement était à vendre parce qu’avec la loi de 47, les propriétaires étaient lésés, ils n’avaient pas le droit d’augmenter les loyers et ils avaient toujours à leur charge les grosses réparations, ils ne s’en sortaient plus. La fondation, ne faisant plus de bénéfices sur ces immeubles, a vendu à bon prix. On a fait un emprunt et finalement on est devenus propriétaires. Mais au départ c’était effectivement l’appartement de bons nazis : le mari allemand, la femme française, la fille dont on a retrouvé la carte des Hitlerjugend… Ils ont essayé de récupérer leur appartement à un moment donné en disant “Nous avons été déportés, arrêtés par les Allemands”. Mais heureusement il y avait des témoins, les concierges d’à côté, le concierge d’ici, qui ont dit qu’on était venu les chercher en Mercedes et qu’il y avait des soldats qui portaient les valises. On s’est dit que ce n’était pas une façon de déporter les gens…
 

De Gaulle
On n’a pas entendu l’appel de juin 40. Très peu de gens l’ont entendu. Quelques jours après, le commandant de l’équipe de l’école militaire est venu faire une conférence pour tous les officiers, une conférence absolument prémonitoire. Il a dit “Cette guerre va durer. Les Américains ne sont pas en route.” Et il a parlé d’un général français : “il s’appelle de Gaulle, ce doit être un pseudonyme”. Ensuite il a pris ses renseignements et savait très bien qui était de Gaulle. La première fois que je l’ai vu, c’était après la guerre, à la première de
La folle de Chaillot au Théâtre de l’Athénée. C’est mon mari qui, en tant que président des Résistants de 40, était bénéficiaire de la recette de la pièce pour les gens qui étaient dans le besoin, dont je vous dis tout de suite qu’ils ne sont pas très nombreux : on est à peu près 500… les cinglés, les dingues, les mystiques. De Gaulle avait dit qu’il n’assisterait à aucun spectacle avant le retour des prisonniers déportés.
Il a fait une exception ce soir-là parce que c’était pour les Résistants de 40. Nous étions donc dans la même loge. Je dois dire que c’est la chose la plus impressionnante de la Terre, le Général de Gaulle. On a fait tout ce qu’on pouvait en son nom. J’étais d’une famille très patriote. Pendant la Première guerre, ma mère avait envoyé à mon père une photo de ma sœur avec lui (prise au cours d’une permission) – moi je n’étais pas en projet à ce moment-là – en écrivant “Je sais ce que tu dois souffrir mais c’est pour notre France chérie”. J’ai bu ce lait-là et donc quand on voit le général de Gaulle en chair et en os… Quand je dis la chose, c’est vraiment une chose… c’était une montagne. Il était hors du réel, hors du temps. 
 
16 juin 1960, garden-party à l’Élysée. Colette et René Sanson derrière le général de Gaulle.
Photo parue dans Historia n° 481, janvier 1987.
 

“Le dernier des Mohicans”

Après la Libération j’ai voulu être enceinte tout de suite – ce qui est idiot parce que j’étais à bout de forces, on était tous à bout de forces – et j’ai eu un enfant qui n’a pas vécu, qui était un garçon, né à 7 mois. À la clinique, quand j’ai eu Véronique, mon mari a engueulé le médecin en disant “Comment, encore une fille, c’est pas possible ?!”, et ce vieux docteur Guillemin lui a répondu “Mais je n’y suis pour rien”. “Oui, mais je vais être le dernier des Mohicans…”. Bon finalement ce ne sera pas le dernier des Mohicans, parce que son nom ne sera pas tout à fait perdu… Il voulait absolument un garçon, moi ça m’était complètement égal, je trouvais que les filles c’était drôlement bien.

Le V de la victoire pour les prénoms des deux filles ?
C’est vrai en partie. Mon mari était fasciné par
L’annonce faite à Marie et il a dit “Si j’ai une fille, je l’appellerai Violaine” et moi j’ai dit “Je ne veux pas que vous appeliez ma fille Violaine. Si j’ai une fille, je voudrais qu’on l’appelle Marie”… et comme c’est lui qui est allé la déclarer à la mairie, il est revenu en disant “Bon ce sera une Violaine quand même” ! J’étais furieuse parce que c’est un prénom qui oblige. “Et si elle est moche ?” Il m’a répondu “Elle ne peut pas être moche.” Après on a été dans les V. J’avais pensé à Victoire justement, mais on a pris Véronique. Je trouvais que c’est une très belle figure de la religion catholique. C’est Véronique qui a essuyé la face du Christ et la face du Christ s’est imprimée sur le linge qu’elle avait utilisé.  




POUR COMPLÉTER CET ENTRETIEN
 
Renaud Poulain-Argiolas a publié un article très complet sur Simone Pellissier, avec qui Colette s’est évadée de Brens. À lire ici : https://soleilsrouges.wixsite.com/itineraires/post/pellissier-simone
 
On trouve en ligne un documentaire (réalisé en 1994) sur les camps de concentration de femmes en France pendant la guerre dans lequel Colette Sanson témoigne. À regarder ici



À Brens, on montait des petits spectacles. Je chantais Du gris que l’on prend dans ses doigts et qu’on roule, Johnny Palmer qui était une très belle chanson réaliste. Je crois que je faisais 4 ou 5 chansons. Et je faisais la présentation, la meneuse.



Le 15 juillet 1970, l’empereur Hiro Hito est accueilli
par René Sanson,
Commissaire Général de la délégation
française à l’Exposition universelle d'Osaka,
Colette et Violaine.
Images du journal télévisé de 20 h
(le document étant sauvegardé sans le commentaire, j'y ai ajouté un fond sonore.)




Colette Sanson chez elle avec Gershwin en septembre 1980. Photo LC
 
En 1994, Colette participe à Questions pour un Champion.
    à voir ici et .

jeudi 31 janvier 1985

"Numéro ultime", janvier 1985

"Numéro ultime". Avec un point final. Quel cinéma ! ;-)
Ce numéro semble le plus abouti, même si les pages s'ouvrent peut-être un peu trop à Katia Miramon, à mon ami Egon Kragel, très présent aujourd'hui sur internet avec un blog poético-photographique – et pas suffisamment à Véronique directement. Tout y est propre, bien rangé (les crédits sous l'édito), il y a des filets un peu partout. Bien sûr, il y a encore ce motif léopard pour rappeler qu'on est bien dans les années 80 ("A decade that taste forgot", comme disent les Anglais).  
Pourquoi arrêter ? well, d'abord ce journal n'avait plus vraiment de raison d'être : Véronique vivait en France, avait un bon attaché de presse ; on parlait d'elle dans les médias, on la voyait plus souvent à la télé. Plus besoin de relais. Mais surtout, l'aventure piétinait : plus grand monde à interviewer, pas grand chose à raconter, l'impression d'avoir (déjà) fait un peu le tour de la question...
Et puis, mine de rien, ça représentait beaucoup de mon temps libre !
Je suppose aussi que j'espérais inconsciemment qu'il se passe quelque chose de nouveau. Je crois à une certaine "théorie de la disponibilité" : on ferme une porte, alors une autre s'ouvre, qui débouche sur une nouvelle aventure... Mais ce ne fut pas le cas. Il fut juste question peu après - à la faveur d'une rencontre dans les coulisses d'un concert de Véronique avec une fille dynamique et ambitieuse et dont j'ai hélas oublié le nom - de monter un fanzine pour tous les artistes Warner. Il y eut même un rendez-vous pris avec Jean-Pierre Bourtayre, alors directeur de production, mais personne n'était vraiment emballé - moi y compris pour être tout à fait honnête...
A suivre, prochainement, une interview que j'aurais aimé réaliser en 1981... Mais les choses se font en leur temps...

Ci-dessous, l'ultime Newsletter, glissée dans le journal, suivie de la page que j'envoyais aux nouvelles demandes d'abonnement...


© Valérie Thieulent

© Christine Le Mentec

Le 6 novembre de la même année, dans Libé, cette interview de Véronique par Alain Pacadis, chroniqueur mondain, incontournable noctambule pilier du Palace (photo Claude Gassian).

lundi 31 décembre 1984

Newsflashes 1 à 3, 1983-84



3 dernières photocopies baptisées Newsflashes en référence à une des chansons de l'album Fearless de Nina Hagen, avant l'ultime numéro d'Harmonies...

Avec le recul, je me dois de dire que je suis choqué par cette façon de présenter mes choix musicaux (très arbitraires), allant jusqu'à l'appel au boycott d'une chanson de France Gall ! Je ne peux mettre ça que sur le compte de mon inexpérience...

Fin 1983, sort le n° 7 de "Chanson 84" (rédacteur en chef : Jean-Louis Foulquier, interview Gardner et photos Alain Gardinier).